JULIEN AMILLARD

WORKS

1

 

 

 

Vous savez,

lorsque j’étais jeune,

ce n’était pas comme maintenant,

lorsque j’étais jeune,

je ne me contentais pas de trottiner derrière ma canne, essayant m’efforçant de la rattraper pour avancer, non, lorsque j’étais jeune, je marchais. Je marchais même beaucoup, énormément. mais à ce moment-là je n’étais pas seul, j’étais chez les scouts – vous connaissez les scouts ? c’est une drôle de chose vous savez les scouts… On nous faisait porter des foulards rouges et des chemises bleues et quelque fois certains blasons pour que l’on sache ce que nous étions au sein des scouts parce que les scouts ce n’était pas que marcher parce que oui, on nous faisait porter ces foulards et chemises pour marcher mais l’on ne se contentait pas seulement de marcher. Il y avait des règles. Il y avait des postes. Il y avait ceux qui partaient en avant, toujours les pieds devançant ceux des autres et qui partaient sur les sentiers et les ravines voir s’il serait possible pour les garçons et filles avançant à un pas plus modéré, attendant la gourde à leur main à leurs lèvres le retour de ceux qui étaient déjà partis et qui savaient ce qui les attendraient lorsque dans cent mètres ils ne seraient plus sur le sentier mais dans les ravines, là où il n’y aurait plus de chemin, plus aucune balise pour savoir si nous sommes sur le bon chemin….

C’est un peu comme vous, n’est-ce pas ?

Vous êtes partis sans savoir où vous iriez, ou plutôt oui, vous savez où vous allez mais n’avez aucune idée du comment vous allez arrivés… et ce sera sûrement une longue marche, n’est-ce pas ? oui, ce sera sans nulle doute une longue marche…

Alors c’est important vous savez

c’est extrêmement important

de prendre votre temps

de ne pas courir

et d’aller à votre rythme

au fur et à mesure,

vous verrez

votre corps se durcira de lui-même et vous pourrez alors avancer un peu plus que la veille

sans vous fatiguer

sans vous soucier oui,

ne vous souciez pas, souciez-vous

uniquement de vos pieds

c’est la chose la plus importante vos pieds

ce sont vos pneus

il ne faut pas qu’ils soient trop gonflés

ni pas assez

il faut qu’ils aient la bonne pression

et qu’ils soient secs

ils doivent toujours être au sec vos pieds, vous comprenez,

n‘est-ce pas ? Vous savez,

lorsque j’étais jeune, vous savez, je marchais, chez les scouts entre autres… et bien ce sont les scouts qui m’ont appris ceci : il faut toujours prendre soin de vos pieds et dès que possible changer vos chaussettes pour qu’ils soient toujours secs et pour qu’ils soient toujours secs il n’y a pas beaucoup de solutions : il faut changer régulièrement les chaussettes et saupoudrer vos pieds de talc

- vous voyez ce que c’est que le talc ? non… ? une poudre blanche ? toute douce toute blanche que l’on utilise pour les fesses des bébés… ? oui ?

Et bien à chaque fois que vous changerez vos chaussettes, saupoudrer vos pieds de talc et alors vous pourrez

marcher comme lorsque je marchais, vous savez, lorsque j’étais jeune, je n’avais pas cette canne, je ne m’appuyais sur rien pour avancer, je n’avais besoin de personnes ni n’étais inquiet de rien… c’est ainsi que vous devrez être : inquiet de rien, avançant chaque jour vos petits pas jusqu’à ce que vous soyez arrivés là où vous devrez arrivés, vous comptez bien arrivés quelque part n’est-ce pas ?

oui, bien sûr, un tel voyage ne se fait pas sans fin mais vous savez ce n’est pas la fin qui importe mais comment vous y parvenez

et pour cela il est important de marcher sans vous préoccuper du temps que cela vous prendra, sans vous préoccupez d’où vous dormirez la nuit prochaine

avancez

avancez simplement

vous connaissez Jésus ? oui, bien sûr vous connaissez Jésus et bien Jésus leur dit ça à ses disciples qui étaient inquiets de ce qui allait arriver, il leur dit Vous ne devriez pas vous inquiétez autant pour le lendemain. Est-ce que les oiseaux s’inquiètent de savoir où ils vont ? Regardez les, voilà comment il va falloir être, sans grenier ni maison et toujours avancer. » Vous voyez, lorsque j’étais jeune, je n’écoutais pas ce qu’Il disait mais lorsque j’étais jeune j’étais jeune et mon col n’était pas blanc, et à mon cou ne pendait pas un crucifix. A cette époque-là les choses étaient différentes, j’étais différent et lui continuait de l’écouter.

Quand il avait commencé à marcher il ne s’attendait pas à se retrouver ce matin sur cette chaise, les épaules tombantes du réveil, les mains entre ses cuisses se lainant l’une l’autre point de croix au pouce, une oreille tendue vers ce prêtre lui prodiguant ses conseils tandis que de son autre lui parvenait la voix d’un second prêtre - il faudrait penser à comptabiliser tout ceci - d’une autre pièce coupée par une porte en verre située entre une bibliothèque aux tranches St Thomas et les crucifix et images de celles et ceux éplorés suite à la mise en croix de celui qui ne s’inquiétait. Derrière la porte, la voix du second prêtre s’accompagnait de mains qui n’étaient les siennes mais celle d’une tierce personne, les doigts en calculette, qui aidait le second prêtre à comptabiliser les sorties et entrées d’argent : baptèmes, mariages, Noëls, Pâques, messes hebdomadaires : nous devrions peut-être en rajouter une ou deux, non ?

Oh ! oui, peut-être que nous devrions, dit les doigts calculette qui la veille coupait sa pomme quart après quart.

Les comptes de Pâques se fondaient aux cui-cui des cui-cui cui-cuisant les matins d’hiver les promesses de printemps derrière les carreaux de la fenêtre couverte de la givre matinale : Oh ! oui de prochaines naissances seraient les bienvenues) et son regard somnolant flottait sur la table face à lui et le prêtre jeune vous savez.

La table couverte de napperons fleuris portait en son centre un vase d’où s’érigeait des fleurs désormais fanées. Elles ne conservaient plus que quelques variances de ce qu’elles étaient lorsque elles avaient été déposées dans ce vase, sur cette table, pour réchauffer la pièce de leurs couleurs et fragrances. Le vase n’était pas un vase mais l’un de ces pichets en porcelaine blanche munie d’une anse pour nous permettre de verser son contenu, il ne servait plus qu’aux fleurs. Et la bibliothèque aux tranches St Thomas, entrefilet de Vie et Pensées de Jean-Paul II, se répandaient sur la table de bibles pour petits et grands, de livres sur la bible, sur la vie de Jésus et le sourire bienveillant du prêtre jeune vous savez faisait écho à ces couvertures tout sourire.

Silence des sourires, tricot de ses doigts, temps de sortir ? oui. sortons : Attends.

– Quoi ?

– Le prêtre t’a vraiment dit ça ?

– Quoi ?

– Il t’a vraiment parlé des pieds pendant aussi longtemps ? ; le sable sur lequel ils marchaient ne crissait qu’entre leurs mots…)

– oui…

– c’est fouuuuuu ! - elle allongeait son ouuuuuuuuu, long et aiguë en signe de surprise et pourtant il n’y avait rien de surprenant dans son ou… )

– qu’est-ce qu’il y a de tellement surprenant ? jouons le jeu de sa surprise.)

– ben… tu lui avais bien dit que ce n’était pas un pèlerinage ?

– oui, mais il semblait croire que ce n’en était pas moins important : lorsqu’on marche, qu’importe la destination, c’est qu’on cherche quelque chose... non, pas tout de suite, ce ne serait pas pour tout de suite. Cela ne devrait être dit que plus tard. Cela ne serait dit que quelques jours après que Jeune vous savez je marchais beaucoup ne soient plus qu’un souvenir accroché à un bout de papier, un bout de papier qui girait au fond de son sac, dans les pages d’un livre qu’il avait commencé à lire et qu’il ne lirait plus une fois revenu, il le lirait peut-être, lui et tous les autres ouverts et marqués, un jour, pour finalement ne jamais le finir et se concentrer sur d’autres qu’il aurait commencé lorsqu’on marche, qu’importe la destination, c’est qu’on cherche quelque chose… Non, pas tout de suite, il faut avancer un pied après l’autre, prendre son temps, oui - pas la peine de lui en parler maintenant, cela arriverait à mes lèvres, à son oreille plus rapidement que lorsque je l’entendis.

 

 

 

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